Je viens — enfin — de comprendre quelque chose d’essentiel :
j’ai mis soixante ans à réaliser que mon cerveau ne fonctionne pas comme les autres.
Je ne sais pas faire une seule chose à la fois.
Ma journée n’est pas une suite d’actions planifiées, mais une réaction permanente à ce (ou à ceux) qui se présentent à moi. Impossible de me concentrer sur un seul sujet, impossible de dire « non » à ce qui surgit. Alors j’ai dû inventer un outil : un cerveau sur mesure.
Un système de survie, fait d’instinct et d’adaptation.
Un cerveau multitâche, autoformé, que ni l’école, ni mes parents, ni mes chefs n’ont su ou pu m’enseigner.
Et comme si cela ne suffisait pas, s’y est ajouté un autre moteur : la peur du regard des autres.
L’obsession de la réussite.
La nécessité viscérale de prouver à son père, puis à ses chefs, puis à la société entière… qu’on est capable.
Alors j’ai appris à faire bien.
À tout faire, tout le temps, et souvent mieux que nécessaire.
Et j’ai mis soixante années à comprendre que ce mode de fonctionnement avait un nom : TDAH — trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité.
Un mot qui classe, un mot qui fige. Mais un mot qui explique.
Je comprends mieux, aujourd’hui, pourquoi l’école fut un champ de bataille.
Pourquoi l’échec était devenu mon quotidien.
Pourquoi j’avais tant de mal à suivre un seul fil, à rester assis, à ne pas partir ailleurs.
Les années ont formaté mon cerveau pour « faire avec ».
Et le résultat ? Un esprit qui tourne sans arrêt.
Un chef d’orchestre débordé… ou un chef de cuisine en service continu.
Je suis comme ce cuisinier qui fait rissoler les pommes de terre pendant que le soufflé monte, qui surveille la sauce pour qu’elle frôle la brûlure et prenne du goût, qui monte la chantilly, lie la sauce, tire le sucre, chemise les moules…
Tout en gérant ses commis, son pâtissier, ses fournisseurs, les livraisons, les coûts, les clients, la carte d’hiver, le potager, les innovations du secteur et les humeurs de l’équipe.
Alors, oui, quand vient le soir, on ne s’endort pas : on s’éteint.
Faire son coming out… à 60 ans
Je peux le dire aujourd’hui : je vis avec ce que la société appelle un « handicap ».
Un dysfonctionnement qu’on tente souvent de corriger à coups de molécules, de Ritaline, d’amphétamines pour enfants « trop remuants ».
Des traitements qui apaisent peut-être les parents, mais anesthésient parfois la personnalité.
Heureusement, à mon époque, personne ne m’a détecté.
Sinon, je serais sans doute devenu un adulte sous tranquillisants.
Et je n’aurais jamais connu cette incroyable énergie intérieure.
Parce que ce « trouble » est en réalité une chance.
Une chance immense, à condition d’apprendre à dompter le bison sauvage qu’il renferme.
Ce cerveau-là permet de faire mille choses.
De vivre dans le « et » plutôt que dans le « ou ».
De créer sans relâche, d’innover sans cadre, d’avancer sans carte.
Et surtout, de ressentir. Intensément.
L’hypersensibilité, sœur jumelle du TDAH
Car à ce rythme effréné s’ajoute souvent un autre cadeau encombrant : l’hypersensibilité.
Cette émotion qui t’attrape sans prévenir, qui te coupe la parole, qui te fait monter les larmes au beau milieu d’un discours.
Tu luttes, tu souris, tu changes de sujet, mais à l’intérieur… c’est un raz-de-marée.
Et puis, il y a ce quotidien si particulier :
travailler sur un sujet, basculer sur un autre à cause d’un SMS, se lever pour un café et oublier ce qu’on faisait, aider un collègue, écrire une idée pour ne pas l’oublier, préparer une conférence, réserver un train, répondre à un client, publier un post, rédiger un article, créer une formation, imaginer une association, se réveiller à 5h du matin parce qu’une nouvelle idée refuse de dormir…
Tu reconnais ce tableau ?
Beaucoup s’y verront. Beaucoup en souffrent. Moi, j’ai trouvé la parade.
La solution : l’art comme ancrage
J’ai trouvé le seul traitement naturel qui m’a sauvé : la pratique artistique.
J’avais 25 ans quand mon ami Jean-Luc est mort brutalement d’un infarctus, laissant une femme et deux petites filles.
Ce fut un choc, un effondrement.
Et ce jour-là, pour ne pas sombrer, je suis allé acheter une toile et trois tubes de peinture.
J’ai peint avec mes doigts. Ma première œuvre. Mon premier souffle d’oxygène.
Depuis, j’ai réalisé plus de mille toiles, organisé une trentaine d’expositions, exploré la mosaïque, la calligraphie, le collage, la photo, l’ikebana…
Chaque pratique m’a libéré, recentré, rééquilibré.
L’art m’a donné ce que la société ne m’avait jamais appris : le calme intérieur.
La peinture m’a offert des instants de grâce.
De ces moments rares où le corps, le souffle et l’esprit s’alignent parfaitement.
Où la pensée s’efface, où tu te sens relié à quelque chose de plus grand, de plus vaste, de plus doux.
Une sensation furtive, mais d’une puissance inouïe.
Transformer l’hyperactivité en lumière
L’art m’a permis de canaliser l’hyperactivité, d’apprivoiser le tumulte, de transformer le chaos en beauté.
C’est un traitement sans effets secondaires.
C’est une voie d’accès à soi.
C’est pourquoi je suis convaincu qu’il faudrait prescrire la pratique artistique à tous les enfants.
Non pas pour en faire des artistes, mais pour leur apprendre à se comprendre, à se concentrer, à respirer, à se relier.
Aujourd’hui, c’est ce qui me pousse à créer L’Atelier des Cinq Sens® :
un lieu où chacun pourra explorer, ressentir, créer, se découvrir, s’apaiser.
Un lieu pour apprendre à transformer sa différence en force, son agitation en énergie, sa sensibilité en moteur.
Parce qu’avec le temps, j’en suis sûr désormais :
l’impossible devient évident.
Et peut-être que la grâce, finalement, commence là où la société ne voit qu’un handicap.
L’art qui soigne, l’art qui apaise, c’est l’Atelier des 5 Sens®.
